Le retour du club des Jacobins

FO, Jean-Luc Mélenchon et le FN partent en guerre contre « la balkanisation de la République ». Dans leur ligne de mire : l’organisation à la carte des compétences et des institutions locales.

D’aucuns croyaient la querelle enfouie au tréfonds des âges. Avec les lois « Defferre » de 1982-1983, les Girondins, croyait-on, n’avaient pas seulement remporté une bataille, ils avaient gagné la guerre. Leurs adversaires, les Jacobins d’obédience gaulliste, socialiste ou communiste, étaient à ranger au rayon des antiquités. Philippe Séguin (RPR) et Jean-Pierre Chevènement (MDC) pouvaient bien tonner contre « le démantèlement de la Nation », ils prêchaient dans le désert.

A contrario, beaucoup approuvaient mezzo voce François Léotard (UDF) quand il prônait « une France fédérale dans une Europe fédérale ». En attendant de donner aux régions le pouvoir d’adaptation des lois, la République, depuis 2003, était décentralisée. Ainsi l’avait voulu le Congrès réuni à Versailles. Puisque tel était le sens de l’histoire…

L’Alsace dans le viseur

Dans une missive trempée dans l’acide, adressée le 6 décembre 2012 à François Hollande et dévoilée le 11 janvier 2013 par L’Express, Jean-Claude Mailly bouscule  ce bel édifice. Le secrétaire général de FO agite le spectre de « la balkanisation de la République » et « des inégalités de droit comme de traitement ». « L’instauration du haut conseil des territoires et des conférences territoriales de l’action publique permettrait des évolutions permanentes émanant uniquement de propositions d’associations d’élus locaux », cingle l’ancien fonctionnaire de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Or, « pour Force Ouvrière, la décentralisation ne doit pas être un processus continu ».

Jean-Luc Mélenchon (PG) creuse aussi ce  sillon. Le leader du Parti de gauche, ce même 11 janvier, se pose en ennemi numéro un des « potentats locaux ». Lors de ses vœux à la presse, il vilipende « cette foucade » de fusion de la région et des deux départements alsaciens. Selon lui, c’est « la machine à déchiqueter la République » qui se met en marche. Il faut l’arrêter. Et vite !

La ministre en charge de la décentralisation reste stoïque. Pour Marylise Lebranchu, formée à l’école du PSU et habituée à gouverner le conseil régional de Bretagne en compagnie des autonomistes de l’UDB, le choc est rude avec le Jacobin assumé, admirateur de la Constitution 1793.

L’anti-modèle espagnol

Il l’est tout autant avec Marine Le Pen (FN). Au menu, en 2012, de la candidate à la présidentielle : le rétablissement du contrôle de légalité, a priori de l’Etat, sur les grosses dépenses des collectivités ; la baisse de 2 % des dotations aux départements et aux régions, assortie d’une interdiction d’augmenter les impôts ; le transfert à l’échelon central des compétences relatives aux transports régionaux et à l’action économique.

Un programme dont son conseiller « République et laïcité », Bertrand Dutheil de la Rochère, assure le service après-vente. Dans un communiqué publié le 4 octobre 2012, à la veille de l’intervention de François Hollande devant états-généraux de la démocratie territoriale du Sénat, il morigène les « notables locaux », leurs « conciliabules et échanges de services ». « L’Italie et l’Espagne montrent combien pèsent sur l’endettement des États les folies des féodaux régionaux. Erreur au-delà des Pyrénées, mais erreur aussi en-deçà » tranche Bertrand Dutheil de la Rochère, ancien « dircab » de Jean-Pierre Chevènement.

L’inconscient populaire à la rescousse

Un discours jacobin que tiennent aussi Henri Guaino (UMP) et, à un degré moindre, Henri Emmanuelli (PS). C’est tout le drame de ce camps-là. Il est éclaté. Tout, au-delà de l’architecture territoriale, sépare un Jean-Luc Mélenchon d’une Marine Le Pen.

Les Jacobins sont d’autant plus inaudibles que leur intérêt pour les collectivités n’a rien de constant. Au Front national, beaucoup, à l’instar de Jean-Marie Le Pen, affichent leur mépris pour les élections locales et l’unique député-maire d’extrême droite, Jacques Bompard à Orange. Jean-Luc Mélenchon, lui, a bien occupé deux petites années (1998-2000) le fauteuil de vice-président du conseil général de l’Essonne en charge de la communication et des affaires internationales. Mais comme le relèvent ses biographes Lilian Alemagna et Stéphane Aliès (Dans « Mélenchon le plébeïen » aux éditions Robert Laffont), il « n’a jamais été un adepte de la gestion locale » : « Au conseil général, son portefeuille à la communication lui permet surtout de continuer à faire de la politique au sens le plus strict. »

Les Girondins, le président de l’Association des régions de France (ARF) Alain Rousset (PS) en tête, auraient tort de réduire les Jacobins à un quarteron d’ultras. Cette tendance, très présente dans la sphère syndicale, irrigue toujours une partie de  la société. Le vieux fonds égalitaro-centralisateur du peuple français ne demande qu’à s’exprimer. L’acte III de la décentralisation lui en fournit une occasion. Puisse ce débat entre Girondins et Jacobins avoir lieu. Voilà qui honorerait sans doute davantage la République que les guerres picrocholines entre associations généralistes et catégorielles d’élus.

Jean-Baptiste Forray

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3 réponses à “Le retour du club des Jacobins

  1. L’organisation territoriale de la France était, au moins dans l’imaginaire collectif, un jardin à la française : c’était partout pareil et on savait qui faisait quoi. Il est effectivement en train de devenir un jardin à l’anglaise et ce ne sera nulle part pareil. Au détriment des populations ? Rien n’est moins sût et les « potentats locaux », éventuellement chargés d’un domaine spécialisé, peuvent être aussi des représentants de l’État. L’État déconcentré n’est pas une garantie contre l’arbitraire, n’est pas systématiquement proche du citoyen.
    Le jardin à la française a commencé d’être déconstruit avec l’acte I de la décentralisation puisque, dotées d’une clause d compétence générale, départements et régions ont pu librement composer des bouquets de politiques publiques au périmètre chaque fois différents.
    Mais la grande machine à déconstruire le jardin à la française aura été, très paradoxalement, en 1999, la loi… Chevènement, puisque l’intercommunalité se construit comme un Lego puisque, au delà du libellé officiel des compétences obligatoires, optionnelles et facultatives, l’intérêt communautaire se définit librement par les conseils communautaires. C e n’est nulle part pareil. Le bibliothécaire que je suis peut vous en dire quelque chose dans son domaine.
    La réforme territoriale de la Présidence Sarkozy avait, avec les schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services, définit la région comme le périmètre où les collectivités territoriales allaient ensemble se donner des clés de répartition de l’action publique. Mais seuls les régions et les départements étaient explicitement cités. Avec les conférences territoriale d’action publique prévue dans l’avant projet de loi de l’acte 3 de la décentralisation, le cadre régional demeure mais on introduit dans le jeu les communes, les intercommunalités et l’État. Et l’émergence des métropoles est confirmée, dont on pense qu’elles n’évoqueront qu’en mode mineur les Villes-Länder de Brême et Hambourg.
    J’ai été comme Jean-Baptiste Forray très frappé par le retour d’un club des Jacobins certes très composite dans le positionnement de ses composantes sur l’arc politico-syndical mais finalement très cohérent dans son approche. A l’inverse m’a sauté aux yeux, dans le premier paragraphe du document publié par le Conseil régional de Bretagne sur l’acte 3 de la décentralisation, l’hommage à  » la grande révolution de 1789″ et la critique des « excès jacobins de 1793 » (www.bretagne.fr/internet/jcms/preprod_167787/rapport-decentralisation).
    Quelles que soient les convictions de citoyen plus ou moins girondines ou jacobines des uns et des autres, je pense qu’il est important qu’au-delà des élus les professionnels territoriaux se mobilisent pour que leurs secteurs d’activités soient organisées au mieux dans l’intérêt public. dans cette perspective, les mots clés « mutualisation » et « subsidiarité » me semblent essentiels même s’ils sont peu jacobins et le cadre régional le bon pour contribuer à l’organisation d’une France diverses (ne l’est-elle pas déjà ?) qui donne au beau mot d’égalité, le meilleur du jacobinisme, un sens vraiment concret. Aux citoyens par leurs votes dans des élections locales qui auraient vraiment du sens de faire avancer l’égalité dans la diversité.

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  3. Cet article d’un militant girondin est tendancieux parce qu’il glorifie les girondins et fustige les jacobins. Il aurait été intéressant, si l’auteur avait été un journaliste, qu’il démontre en quoi l’acte futur de la décentralisation ne portera pas atteinte à l’égalité des citoyens devant le droit et comment la décentralisation peut améliorer le droit des citoyens.
    Le seul exploit de cet article, c’est de démontrer que l’attachement à la République est très divers.

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